TEXTES de VOYAGE, au fil de la route et des rencontres (an 2)
Les petites phrases
Difficile de se faire une idée des effets d'un voyage après deux années de route. Est ce "le voyage qui vous fait ?", "purge t-on la vie avant de la garnir ?", "est ce que les choses surviennent ?"... les écrivains ont sans doute une grande longueur d'avance. Pour ma part, je sens augmenter le nombre des questions sans réponse, augmenter l'étendue de mon ignorance. Comment comprendre un peu des réalités entr'aperçues sans maîtriser la langue (en espagnol on se débrouillait mais ici en portugais c'est une autre affaire !), sans trouver les bons interlocuteurs, sans disposer de ressources documentaires autres que les quelques guides et ouvrages emportés ? Je mesure la fragilité du regard, quel sens donner à ce que l'on voit ? L'impression d'effleurer les choses qui constituent cependant le quotidien combien tangible, concret, parfois même, semble t-il, figé depuis des lustres des personnes d'ici... pour moi qui vient d'ailleurs ! Que veut dire l'avenir des enfants qui sortent des petites écoles croisées en chemin ? Comment s'en sortent leurs parents ? Il reste ce qui peut se passer de mots, les échanges amicaux, les bouts de conversation émaillés de rires mutuels lorsqu'on se rend compte que l'on ne se comprend pas ! Combien précieux ces bouts de rencontres, ces moments passés ensemble à apprendre comment cuire ce légume géant, réparer le réservoir supplémentaire de Pgaz que l'on a failli perdre pour de bon, chercher son chemin, de l'eau potable, la poste ou un endroit tranquille pour dormir. Voyager pour aller vers l'autre ?

Programme farniente
Une semaine sur place, en face de la mer, le farniente au programme. Nous avons des rendez vous quotidiens. Le colibri matin et soir, il ne fréquente que les fleurs rouges. Les chauves souris viennent tourner dans le jardin quelques instants au coucher du soleil puis disparaissent. Le chat s'essaie bien chaque jour mais nous préférons le bruit des vagues à ses ronrons. Les coqs s'y mettent vers 4h30 puis retrouvent du calme et ce sont ensuite les nuées de moineaux locaux qui tout d'un coup se comptent et se racontent avant de se disperser pour la journée. Le vent taquinera les surfeurs. Le soleil cuira vite fait les peaux trop blanches. La fraîcheur de la maison accueille les paresseux pour quelques siestes à répétition. Petit café par ci, couture par là, tri des photos, préparation de textes, lectures, échanges, rires, reconnaissance de ces instants bienfaisants, flux de pensées vers ceux qui sont tout près/si loin, ballades sur la plage, popote... et des échanges avec Rosa, Waldir et Lucas, la rencontre avec Luiza à Iguape, capitale de la dentelle ! Les travaux du puit sont terminés mais il faudra agrandir l'éolienne pour tirer l'eau maintenant à 32 mètres de profondeur. On plante quelques cocotiers pour l'ombre. Baleu vient nous cuisiner un plat de poisson, en français s'il vous plaît ! On prépare la suite : Belem, Manaus puis le Vénézuela. Le plaisir immobile. Merci les cousines Ariane et Monique pour l'hospitalité. Le portail de l'arrière cour a laissé passer Pgaz avec une toute petite marge de quelques centimètres ! Il aura pris des vacances à côté des poules, chèvres, chevaux et chiens, sans dire un mot.
Les mauvaises têtes... et les rencontres !
Des rencontres peu banales. Rio, sur le parvis d'un théâtre un couple parle français, nous cherchons aussi à visiter le théâtre, il est fermé. Nous bavardons, vous venez de Paris ? Thierry et Martine habitent à Nation. J'évoque Parmentier, Thierry réagit car il y a passé son enfance, le collège Fontaine au Roi, il connaît. Il revient régulièrement dans le quartier car son père y travaille encore, dans un atelier "où on répare tout"... je suggère "même les mauvaises têtes" ? stupéfaction ! c'est le slogan accroché par son père dans la vitrine entre deux poupées : ici on répare même les mauvaises têtes ! Sao Paolo, jour férié, 16h on cherche le Carrefour pour des emplettes avant de quitter la ville, on longe une très longue rue, feux après feux nous suivons un Diffender Land Rover, deux autocollants attirent notre attention : drapeau du Canada et du Québec, pas banal au Brésil. La rue continue à monter, nous devons bientôt tourner à gauche, voici que le Land Rover vient de tourner lui aussi à gauche juste devant nous... s'arrête sur le côté, baisse la fenêtre. Marcello nous interpelle, où allez-vous ? au Carrefour ! bon, moi aussi, alors on s'y retrouve ! On y fera la connaissance de sa femme Ming, chinoise rencontrée en Tasmanie et de leur petit Magnus, juste un an au compteur, les 3M ! Quelle soirée ensuite autour d'une succulente pizza, Marcello a monté un atelier de tatouage il y a quelques années et cela marche très fort. Ming apprend le portugais et espère retravailler dans une banque. Magnus fait ses premiers pas et comprend déjà l'anglais, le portugais et le cantonais. Un endroit sûr pour dormir ce soir car l'heure tourne et nous n'avons pas quitté la ville comme prévu ? allons devant chez sa mère, la rue est gardée 24h sur 24h car un ministre habite à proximité. Retrouvailles matinales le lendemain pour un somptueux petit déjeuner à la brésilienne. Tiradentes, on entend dans la rue "tu vois, le toit se lève", on passe la tête et on bavarde : des expatriés français et canadiens en famille ce samedi. Contact simple, direct et chaleureux, vous serez à Brasilia dans deux semaines ? venez donc à la maison ! quelle joie de les retrouver ! quel plaisir de parler "québécois" ! quel bien être ces journées à la maison, Pgaz sagement garé dans le jardin... merci ! Centre commercial à Punta del Este, au pied d'un escalator, un tout petit stand avec des machines à coudre à pile... curieuse, je questionne Lourdes, la vendeuse. Elle me parle de sa vie ici, elle attend son visa pour le Canada et devrait être à Toronto dans 4 mois ! Ne maîtrisant pas bien du tout le portugais, cela rend plus difficile les échanges au fil des jours comme on aime à les vivre depuis qu'on est en route. Difficile à comprendre Alberto, dans son champ de salades qui accepte que l'on passe la nuit, mais un bon moment passé avec lui avant que son chargement soit terminé, il se lèvera à 4h pour rejoindre le marché de Belo Horizonte. Depuis le matin nous croisons des camions chargés de sacs gris empilés le plus haut possible, mais cela semble bien tenir. On se dit que cela ne doit pas être très lourd, mais quoi ? du café ? du charbon de bois ? dans une station essence, je vais voir un des camionneurs et lui demande quel est son chargement, je tente un "madero cocinando ?" (du bois cuit), éclat de rire ! "carbon" ben oui, du charbon de bois ! ils viennent du Paraguay à la queue leu leu, vive les barbecues.

Tant d'amour, tant de patience.
Le choc d'apprendre un décès lorsqu'on est loin, très loin de ses bases. C'est ainsi. Ma petite mère s'est éteinte le samedi 9 février à 97 ans. Lorsque je lui avait parlé de ce voyage, elle m'avait demandé : "plusieurs mois ?" "oui, petite mère, plusieurs mois..." Elle m'avait pris les deux mains en rapprochant son visage : "on se regarde" me dit-elle lentement en répétant trois fois son propos. Pas une larme, pas un reproche, un regard du fond de l'âme, tranquille et si présent encore en moi."Je suis tellement contente pour toi et tu as un si bon compagnon". "J'ai une demande, dit-elle, peux-tu m'envoyer des cartes postales ?" "oh oui maman, je vais t'envoyer des cartes postales". "J'ai une autre demande", silence, "peux tu numéroter tes cartes, comme cela je serai sûre de toutes les recevoir". Le 9 février je lui écrivait la 97ème carte et je la postais le lendemain de Fort Lockoy, unique boîte aux lettres de l'Antartique. Chère et tendre petite mère, comment te remercier, comment exprimer de la reconnaissance pour tout l'amour que tu nous a donné, toute la patience et le non jugement que tu as eus envers nous tous, toute l'attention, l'écoute et l'accueil que tu as manifestés durant ta longue vie. Vous êtes maintenant trois à être "de l'autre côté", dans le grand continent blanc. Notre père et un frère bien trop tôt partis, puis toi qui "ne voulait pas nous faire de la peine". Tu t'es éteinte lentement en gardant ton sens de l'humour. "Aide moi à trouver une rime "au pas chancelant des résidents"... "j'ai l'âme en table/lamentable" avait-elle dit à mon frère devant un quartier de mandarine difficile à avaler. Elle aura su par ma soeur qui lui parlait chaque jour au téléphone que j'allais voir des pingouins, animal qu'elle aimait tout particulièrement. Enfant elle avait construit une "cabane à pingouins" avec ses frères et on les voit déguisés en pingouins sur de vielles photos sépia. Enfance, maturité, vieillesse. Présence, absence, pas de rupture.

Pingouins ? Manchots ?
La langue anglaise (pinguins) ne distingue pas ces deux oiseaux : les pingouins de l'hémisphère nord qui volent comme les macareux, les guillemots et les manchots de l'hémisphère sud qui ne volent pas comme les magellans, les papous, les adélies, les gorfous macaronis ou sauteurs, les jugulaires, les rois ou encore le fameux empereur seul animal à pondre et couver son oeuf en plein hiver (-60 degrés). Nous aurons pu voir de larges colonies de manchots papous au bec rouge (gentoo), de manchots adélie aux yeux bleus certis d'un filet blanc, de manchots à jugulaires (chinstrap) avec un bec noir et une fine ligne noire sous le menton et deux rescapés macaronis avec leurs filoches jaunes sur le haut du crâne. Fin janvier : les bébés sont gros, en cours de sevrage. Ils courent parfois après leurs parents peu enclins à les nourrir. Leur duvet ne leur permet pas encore d'aller à l'eau. Ils restent en groupe, vastes nurseries, très attractives pour les oiseaux prédateurs comme les pétrels ou les labbes (skua). Un survol de la colonie, l'oiseau isole un petit et l'assomme, 10 minutes plus tard il ne reste pas grand chose. Le cadavre est déchiqueté par cinq ou six pétrels qui se battent le bec ensanglanté. La nurserie est restée groupée au bord de l'arène. Plus amical : restez tranquille un moment, un manchot curieux s'approche, se dandine, lève le cou, cherche à picorer votre gant, votre botte, vous suit sans doute dans l'espoir d'une pitance poissonneuse. Les manchots ont un ou parfois deux oeufs, couvés au sec. Le nid est constitué de cailloux, parfois volés au voisin. Dans cette phase l'essentiel est de rester au sec d'éviter l'humidité ou la neige. Ils choisissent donc des espaces ventés et grimpent parfois de fortes pentes pour aller nicher. Quel spectacle ces colonies haut perchées et les allers retours entre le nid et la mer. Les adultes connaissent chaque année une période de mue après le sevrage. Ce sera donc quelques deux ou trois semaines sans nourriture faute d'être imperméable : les nouvelles plumes remplaçant peu à peu les anciennes avant de pouvoir retrouver le chemin de la mer. Ils se nourissent de krill comme les baleines, peuvent plonger jusqu'à 25 minutes, nagent avec leurs ailes et sautent hors de l'eau un peu comme les dauphins. Ils sont une proie appréciée des orques, baleines tueuses, éléphants de mer... Ils se retrouvent parfois dans les filets des bâteaux de pêche à longues lignes (long ligner). Il y a 17 espèces de manchots, nous en aurons vu 4.

Manger et boire en Argentine
Les argentins sont les premiers consommateurs de viande au monde devançant les "étatsuniens". Bienvenue pour un petit asado (barbecue) : le plus souvent du boeuf mais quel régal de déguster un mouton cuit par reflexion : la bête ouverte sur la longueur est dressée face au feu, cuisson lente et chair croustillante. Vins variés secs ou fruités venant du nord du pays : beaucoup de choix avec des degrés élevés d'alcool, difficile de trouver un 12 degrés lorsque tout s'affiche entre 13 et 14,5. Les légumes ne sont pas légion dans les magasins et il est difficile de trouver du nescafé sans sucre, des yogurts nature, des galettes sans "dulce de leche", tout est très sucré. Difficile de trouver du poisson non congelé, même à la poissonnerie ! Connaissez vous la boisson nationale ? ni thé ni café ni bière mais maté. Le maté se consomme tout au long de la journée. Chacun se ballade avec son thermos d'eau sous le bras pour remplir régulièrement son gobelet de maté. Le maté est une herbe drue grossièrement hachée parfois parfumée à la pomme ou à la camomille. On remplit son gobelet de 3 à 4 cuillères de maté, on secoue sur la paume pour en retirer le plus de "poussière" avant de verser une première dose d'eau chaude non bouillie SVP. On glisse une pipette spéciale en veillant à boucher la partie haute pour que les fines particules ne pénètrent pas dans la pipette et on aspire lentement une première giclette de maté. Goût plutôt amer. On prend le temps de siroter puis on remplit à nouveau le gobelet et... on passe à son voisin ! Le maté est une cérémonie collective. Si on dit "gracias", on ne vous repassera pas le gobelet.

Les estancias de Patagonie
Quelques milliers d'hectares consacrés à l'élevage de moutons mais aussi de vaches, les plus anciennes estancias ont été créées en 1896 en Terre de Feu sur les territoires des Onas, des Yamanas ou des Yagahans ethnies désormais disparues. Il reste une grammaire yamana rédigée par un pasteur anglican installé à l'estancia Harberton, 44.000 hectares et anciennement 22.000 têtes de bétail. L'estancia s'est reconvertie au tourisme : à une soixantaine de kilomètres d'Ushuaia il est plus facile d'accueillir des visiteurs dans un ancien domaine qui abrite des pingouins de surcroît. Un des bâtiments caractéritiques d'une estancia est le "galpon" ce vaste hangar carré servant une fois par an pour la tonte des moutons (voir "jour de tonte chez Rolito"). La piste traverse parfois plusieurs estancias. Avez vous déjà roulé "chez vous" durant des dizaines de kilomètres avant de passer chez le voisin ?

Castorama : des castors en plein travail
A 70 km au nord d'Ushuaia, on quitte la fameuse route 3 et hop, cap sur la laguna Fagnano, 11km à travers bois pour longer ensuite une étroite piste au ras de l'eau. Solitude garantie. On grimpe à pied une falaise surplombant d'un côté la laguna et de l'autre une vallée où courent plusieurs ruisseaux au milieu de troncs d'arbres enchevêtrés. Soudain un barrage, branchages et boue mélangés, signature de la présence de castors... en verra t-on ? Patience, en voici un il glisse dans l'eau le museau à l'air, transporte ici un bout de bois, là une motte de boue, il disparaît, creuse un trou, l'eau devient brune de terre, il réapparait maculé de glaise et reprend ses trajets vers les différents points de son barrage, infatigable.

La Terre de Feu et sa capitale Ushuaia (Argentine)
Le continent s'arrête en Patagonie au sud de Punta Arenas, ville chilienne, mais les puristes iront à Fuerte Bulnes, un fort construit en 1843, c 'est le bout de la route. La terre continue encore un peu plus bas au phare San Isidoro et à Froward mais il n y a plus de piste. L'accès en Terre de Feu nécéssite donc de franchir le canal de Magellan soit par Punta Arenas (5heures de traversée parfois très houleuse) soit de contourner par l'est et prendre le ferry à Puerto Espora (traversée d'une heure trente). Les grands vents, les vastes estancias, les rares villages avant Ushuaia, les fôrets de lengas, ces arbres aux si petites feuilles vivaces (2 à 3 cm). La côte avec les bateaux échoués qui rouillent non loin. La neige sur les montagnes, des lacs sombres, un temps relativement clément et des lupins en profusion : bleu, rouge, jaune, orange, rose... toute la palette y est. Ushuaia, un site superbe, des montagnes en bord de mer, un glacier proche et quelques stations de ski. La ville grandit vite. Le pénitentier est devenu musée, le port accueille des bâteaux de croisières de toutes tailles : les énormes FRAM et autres voyagistes, les moyens avec une centaine de passager et les voiliers qui eux aussi vont vers l'Antartique. L'inévitable rue San Martin avec ses magasins de luxe et ses multiples restaurants, des rues latérales aussi commerçantes, les taxis, coups de klaxon si cela ne roule pas assez vite. Le samedi on déambule en famille, dans la semaine les jours s'animent au gré du débarquement des touristes. Un camping à 3/4 d'heures à pied du centre et des rencontres : les argentins sont en vacances, des étrangers avec la proportion habituelle d'allemands et de suisses. Surprise de rencontrer nos premiers "British" : un couple en moto à travers le continent. Précieux échanges d'information sur le Brésil, le Vénézuela... comment aller aux chutes Angels ? où se poser à Rio ? quelle est la bonne période pour le Pantanal ?
Et une surprise de taille : dans un cybercafé, un couple s'approche de Jacques et tente un "Edmonton?", on se regarde en face... "oui, Edmonton en juin 2006 !?!?" nous avions passé la soirée avec Kim et Rick, deux policiers passionnés de landcruiser. Quelle seconde belle soirée passée avec eux au bout du monde, si "loin de chez nous". Le monde est petit, merci les coïncidences.


ROLITO, Terre de Feu, le jour de la tonte
Tout commence...deux jours avant : pas de tonte si les moutons ne sont pas secs. On reconnaît les estancias pratiquant l'élevage de mouton à leur immense hangar sur pilotis, au toit de tôle et aux toboggans latéraux permettant d'éjecter les moutons au sous sol une fois la tonte effectuée. Ce matin là, grand ciel bleu, les moutons sont déjà parqués sur le côté. les barrières s'ouvrent. Les moutons entrent par lot dans des enclos réduits puis sont bousculés vers l'intérieur du hangar. L'instrument magique aux mains des bergers sont ces bouteilles en plastique remplies de cailloux. Les deux tiers du hangar sont occupés par les boxes d'attente des mouton. Sur un côté, au sud, les six hommes en charge de la tonte sont en action : en deux minutes chrono, il a sorti une bête du boxe en la retenant tête en l'air, elle glisse sur son arrière train encore chaud de ses kilos de laine. Position, action. La tonte commence par le cou, les oreilles, le ventre, les flancs puis le dos une fois que la masse de laine pendouille sur le côté. Le sabot électrique de sa tondeuse navigue sans s'arrêter et dessine de grandes vagues blanches qui peu a peu font apparaitre un gringalet immaculé content de se retrouver bientôt sur ses quatre pattes, combien svelte ! La bête a changé de volume et de couleur en un instant, pas un bêlement, elle retrouve les autres dans un sas ensoleillé. Au suivant. Trois jeunots ramassent la tonte et vont l'étaler dans un savant geste d'envol sur une grande table à clairvoie. L'un va arracher les traces bleues d'identification du troupeau, l'autre coupe les parties souillées de la laine, le troisième vérifie l'ensemble et arrachera telle partie qu'il lance sur une table plus petite : on recupère encore à ce stade des bouts de laine qui seront traités dans un autre circuit. Seule les toisons entières sont entassées dans la presse : peu à peu elle se remplit, un des deux gars chargés de l'emballage les foule au pied puis la presse sera enclenchée et les leviers actionnés à bon rythme vont livrer un ballot final. 190kg celui ci, 200kg celui là, la balance délivre son verdict. Un carottage est prélevé sur chaque ballot avant qu'il ne soit poussé vers la trappe d'évacuation. Il y aura 120 ballots pour cette saison. Direction la Russie ou la Chine sans retraitement local. Quelques chiffres : 2 à 4 kg de laine par mouton à 2 pesos le kg, 1,5 pesos payés au tondeur qui en passe 150 dans une journée donc gagne 45 pesos à l'heure soit 90 euros/110 dollars pour sa journée. Une quinzaine de personnes travaillent à bon rythme toute la journée, les seules journées où ce vaste hangar vit sa vie ! Le propriétaire gagnera 48.000 dollars pour ses 120 ballots. Chaque année il perd 500 bêtes : une centaine du fait des intempéries (les moutons sont dehors toute l'année) et 400 sont tués par des chiens errants, le fléau de la terre de feu. Il nous a indiqué en avoir tiré près de 2000 sur ses terres, l'an passé. Sa famille est venue ici en 1927. Son domaine a 100 km de clôture externe, 350 km de clôtures internes. Deux questions : quelle est la surface de son estancia ? et, avant de vous endormir... comptez combien il a de moutons !
Clin d'oeil aux chiens bergers : un sifflement de son maître et le chien de tête file vers le troupeau, il court, il court à fond de train et rejoint les bêtes. Second sifflement et les chiens latéraux s'élancent à leur tour comme des flèches. En quelques minutes l'ensemble du troupeau sera ramené vers le hangar.


Le Perito Moreno, un glacier actif
Plusieurs glaciers dans le Sud argentin mais l'un d'entre eux se laisse approcher de près à pied sec. 14 km de glace qui avance chaque jour, un mur de 50 à 60m qui rugit, craque, s'effondre dans de grandes gerbes d'eau. De gigantesques "baleines bleues" qui surgissent des profondeurs comme un feu d'artifice puis s'éloignent tranquillement. Ces blocs ont une sublime couleur azur. Fascination de ce spectacle continu : immensité du champ de glace immaculé avec ses pointes acérées dressées vers le ciel, reflets changeants de la falaise glacée qui passent du bleu au vert, lignes concentriques à la surface des eaux qui accompagnent la chute des blocs. Coups de pétards, craquements sinistres, rugissements, le glacier déploie une intense activité pas toujours visible mais combien permanente : d'où vient de nouveau bruit ? quel est le prochain bloc qui va s'éfondrer ? et ce gigantesque pouce, va t-il tenir encore longtemps défiant les lois de l'équilibre ? La journée d'observation passe vite même si le vent arrive peu à peu à nous transformer aussi en "glaçons" !


Vous avez dit "moaï ?"
Etonnants ces géants de pierre dressés le dos à la mer pour apporter la "mana", l'énergie et la force aux pascuans. Renverser un moaï apportait le malheur et la défaite à l'ennemi. Tous les moaïs de l'ïle ont ainsi été brisés ou renversés au fur et à mesure des conflits, rivalités et guerres locales. Une partie d'entre eux a retrouvé sa posture initiale le plus souvent sur les plateformes de cérémonie : jusqu'à 15 statues côte à côte, des grandes et des plus petites, avec ou sans "chapeau". La question du couvre chef ! ces gros turbans rouges représentent ils une coiffe, des cheveux ? l'énigme reste entière. Tous les moaïs viennent de la carrière de Rano Raraku. Ils étaient taillés dans la roche en position allongée (voir photo des deux gisants tête bèche au flan de la montagne). Ils étaient ensuite acheminés à destination. Autre énigme : voyageaient ils couchés ou debout ? Leur coiffe rouge venaient d'une autre carrière. 887 moaïs recensés sur l'île dont la moitié encore dans la carrière et 92 en cours de route vers leur destination. Quatre sites majeurs les montrent sur leur plateforme d'origine : jusqu'à 15 bonhommes, pas de femmes, alignés dos à la mer. Des grands de 8 à 10 m, des plus petits de 2 à 4 mètres, tous les mains sur le nombril (voir photo). Pas de jambes sauf une stèle proche de la carrière. Et le poids ? en moyenne 60 à 80 tonnes avec un géant de 21 mètres de haut affichant ses 170 tonnes. On imagine le suspens du déplacement de ces statues. La tradition rapporte que "les moaïs marchaient vers leur destination", donc ils étaient déplacés en position verticale. Autre originalité de l'île : une écriture unique avec 120 symboles.On lit la ligne puis on retourne la plaque pour lire la ligne suivante dans l'autre sens... forme poétique du bostrophéron que l'on rencontre en Crète, sans doute aussi ailleurs.


Voyage immobile... de temps en temps
Le plaisir si particulier du voyage immobile : se poser dans un endroit accueillant pour quelques temps et "faire rien," ce qui est bien différent de "ne rien faire". Goûter le plaisir du paysage qui ne change pas de place. Faire quelques pas autour de la "cabane" et retrouver le même chemin de retour... vers elle. S'accoutumer aux bruits du voisinage qui peu à peu deviennent familiers. Retrouver les mêmes personnes à quelques heures ou quelques jours de la première rencontre. Relever les petites habitudes et coutumes du lieux. S'approprier à notre tour un bout de territoire. Apprécier ce hâvre à l'ombre d'un arbre, au creux d'une haie, au bord d'un lac ou près d'un bâtiment. Se sentir de passage et en même temps un peu d'ici, ou de là ! Se dire que cela est bon de pouvoir se poser sur un petit coin de cette terre ! Lire, écouter de la musique, révasser, préparer tranquillement les prochaines étapes, réparer les petits bobos éventuels du camion, faire un peu de couture, écrire, penser aux uns et aux autres... et remercier pour cette liberté de vivre !


Les mines de Potosi : misère et grandes fortunes
1544, depuis bientôt cinq siècles, la colline magique de Potosi enrichit les uns et tue les autres. 8 millions de morts dans cette colline aux 600 mines en cours d'exploitation : argent, zinc, cuivre... mais dans quelles conditions ! Les mines ne sont plus exploitées par l'Etat depuis une vingtaine d'années. Ce sont des coopératives à la bolivienne qui ont pris le relais. De huit à vingt personnes sous la houlette du propriétaire avec trois catégories de personnel : ceux qui décident des filons à traiter et qui manient la dynamite, les mineurs qui vont creuser et dégager les pierres et les derniers qui vont transporter parfois en rampant, puis le long des galeries le minerai jusqu'à la surface. Les plus jeunes et les femmes sont dehors pour remplir les camions. Un camion de 8 tonnes sera rempli en trois jours si la coopérative a des équipements modernes ou en deux semaines si tout est fait "a la mano". Chaque mineur vient avec son casque, ses outils et ses réserves de carburant : de l'alcool "potable" à 96 degrés comme boisson, eh oui, et un sac de feuilles de coca qui va permettre de renouveler sa boule de coca dans la bouche avec un alcalin durant la journée. Plus de problème de gamelle ou de "pic nic à la noirceur" ! L'usage veut que le visiteur apporte trois catégories de cadeaux : des boissons gazeuses pour ceux qui travaillent dehors, des feuilles de coca ou des cigarettes pour les mineurs et... des batôns de dynamite pour le patron. Donc on va acheter tout cela dans de minuscules boutiques avant de monter vers la fameuse colline. Une tradition : chaque vendredi les mineurs viennent honorer TIO, le dieu de la mine qui vous attend au fond d'une galerie. Cette statue à taille humaine a deux belles cornes sur la tête, les bras grands ouverts et un sexe des plus proéminent ! Le vendredi les mineurs viennent l'arroser d'alcool, lui faire fumer une petite cigarettes et le couvrir de feuilles de coca. les femmes ne travaillent pas dans la mine et certaines coopératives n'acceptent pas les visites de femmes. Poussière, atmosphère chaude ou froide selon les endroits, passages glissants, fils qui courent le long des galeries sans étais, flaques d'eau, trous d'accès à d'autres niveaux... tout un réseau de galeries que seuls les mineurs connaissent. Deux sortes de visites : celles qui déambulent sans changer de niveau et celles qui vont emprunter les échelles et puits de passages dans les profondeurs ! Trois classes de salaire journalier : 50 bs (bolivianos) pour celui ou celle qui travaille dehors, 100 pour celui qui charrie le minerai, 150 pour celui qui creuse et 200 à 250 pour le propriétaire qui décident des filons et supervisent l'équipe. 1 bs = 1 ct d'euros. Chaque semaine 2 à 3 mineurs meurent de maladie, la silicose le plus souvent. Les accidents seraient plus rares dit-on, une quinzaine par an. Au centre ville la Casa de la Monada raconte la découverte de l'argent qui a d'abord été exploité à ciel ouvert. Lorsqu'il a fallu creuser des galeries, les populations indiennes ont été requises soit dans la mine soit à l'extérieur pour creuser de grands bassins d'eau. La main d'oeuvre manquant, l'esclavage africain est venu en renfort dans des conditions inimaginables : jusqu'à 4 mois passés dans le fond de la mine juste alimentés par la coca et l'alcool. En sortant il fallait bander les yeux sous peine de perdre la vue. On comprend facilement que le chiffre de 8 millions de morts soit avancé. Tout cela pour enrichir l'Europe, la couronne d'Espagne en particulier sans oublier l'Eglise. Sur les 8 Humer, véhicules hors de prix , qui existent parait-il en Bolivie, 3 sont à Potosi... misère et grandes fortunes.


La route des jésuites en bolivie
Ils seront venus au coeur de l'Amazonnie bolivienne. Les jésuites ont implanté une dizaine de couvent au coeur du territoire des Chiquitos. Leur optique se démarquait des autres confréries religieuses : évangélisation avec respect des savoirs et coutumes locales. Une sorte de coopération avec les cultures indigènes. Il en reste des traces fortes dans les productions locales qui allient originalité et qualité. Les jésuites auront été expulsés par le pape à la demande de la couronne d'Espagne. les franciscains auront pris le relais. Javier, Ignacio, Conception,... les missions se succèdent au coeur de l'Amazonnie, nous ne verrons que la plus ancienne (San Javier) car la pénurie de carburant nécessite de gérer ses litres de diésel. Dommage !

Surprises boliviennes
Découvrir un nouveau pays demande toujours quelques jours : comment vit on ici, quelles sont les activités, comment les gens conduisent et "se conduisent"... il y a des contrôles policiers : que veulent ils ? etc... En Bolivie nous avons été surpris par les nombreux contrôles de police qui demandent invariablement "d'où venez vous ?" comme si sur cette route droite on pouvait venir d'ailleurs que du bled précédent !!! mais bon, on s'y fait et c'est mon rôle (Elisabeth) d'aller payer les péages ou de montrer les papiers (heureusement les photocopies conviennent jusqu'à présent). La feuille de coca est omniprésente : petit sac dont on sort une poignée pour chiquer quelques heures cette boule logée dans la joue... Surprise de voir ces visages largement déformés par les boules de coca. Mais ce qui nous surpend le plus est la difficulté à avoir des rapports simplement cordiaux : visages fermés ou distants, humour pas évident, côté franchement rugueux le plus souvent. Certes, la vie n'est pas facile, c'est le pays le plus pauvre d'Amérique latine. Nous faisons juste ce constat et pour nous c'est un "manque à vivre des rencontres" sauf quelques exceptions. A suivre, nous sommes en Bolivie encore pour quelques temps.

Surprises péruviennes
- le Vietnam au Pérou : partout dans le nord du pays et sur la côte pacifique, il y a d'immenses rizières, tellement qu'on se croirait en Asie du sud est. Ces rizières appartiennent pour la plupart à de grosses compagnies internationales qui font travailler les locaux pour un salaire de misère. Ce sont par ailleurs les seuls espaces sur lesquels nous avons vu des tracteurs.
- le désert : toute la côte pacifique du Pérou est un immense désert de sable ou de roches sur une bande de 25 à 250 km au pied de la cordillère des Andes. Les gros conglomérats agricoles achètent des "portions de désert", y acheminent l'eau des montagnes et développent des cultures variées : piments, artichauts, ceréales et autres légumes pour l'exportation... impressionnant de voir le désert de sable devenir soudainement d'un vert intense.

Les coups de coeur au Pérou
Tout d'abord la gentillesse des péruviens ! alors qu'on nous avait parlé en sens contraire à plusiers reprises. Toujours prêts à nous donner de l'information avec plein de détails. Un immense et chaleureux sourire, une solide poignée de main...
D'autres surprises agréables :
- la vue de près, en plein vol des condors du canyon de Colca, le plus gros oiseau de la terre
- des centaines de vigognes, lamas et alpagas qui broutent sur la pampa et les hauts plateaux
- les routes de montagne, pas bien plus larges que Pgaz, qui nous offrent des paysages insensés
- le lièvre écureuil avec sa longue queue en spirale et ses petites oreilles qui se chauffe sur les rochers
- les îles flottantes du lac Titicaca : certaines communautés jouent à fond la carte touristique, d'autres n'accueillent personne
- le petit village perdu d'Ichuna qui n'avait pas vu de camping car, et la curiosité des habitants
- les mystérieuses lignes de Nazca qui gardent leur secret ainsi que l'immense candélabre de Paracas

Les îles flottantes du lac Titicaca, côté péruvien
Un lac immense, peu de plages et des eaux franchement froides, quelques îles "en dur" agréables à découvrir tant du côté péruvien que du côté bolivien et les fameuses "îles" flottantes" ! Le roseau totora que l'on retrouve aussi sur la côte nord du Pérou sert de matériaux unique pour constituer la base de lîlot, les cabannes, les barques, les abris pour cuisiner. Au fur et à mesure que le totora se tasse, on remet une couche fraiche et c'est reparti pour quelques temps. On peut manger le coeur du totora avant de l'étaler par terre, on peut assembler les roseaux pour faire des nattes, des clôtures. On tangue légèrement en marchant sur ce sol mou et attention aux bordures, le pied prend vite l'eau ! Les iles sont fixées avec des pieux, comme l'ancre d'un bateau et si on veut changer de voisinage, un coup de scie pour trancher l'épaisseur des roseaux, environ 60 à 80 cm et hop on tire l'ile plus loin ! Du temps de Fujimori des panneaux solaires ont été installés et la télé marche ici comme en ville. Certaines îles commercent à fond avec le touriste, d'autres n'acceptent pas les visiteurs. Les femmes ici sont imposantes, voire énormes mais pourquoi, c'est difficile à demander : manque d'excercice dans un îlot de 200m2, nourriture peu variée, consanguinité... cela reste à creuser.

Santa Catalina.. un couvent ?
Une jeune veuve fortunée Maria de Guzman fonde en 1580 un couvent d'exception, réservé aux filles des grandes famille espagnoles. Celles ci venaient avec 4 servantes ou esclaves, disposaient chacune d'un logement personnel avec cuisine, salon de musique... Trois siècles de belle vie derrière une clôture étanche aux mouvements de la ville. Flora Tristan y séjourna avec plaisir elle aussi. Puis arrivèrent les "rappels à l'ordre" du pape qui renvoya les esclaves et récupéra les dots de ces dames et du maire en 1970 qui exigea une plus grande transparence et une ouverture au public. 30 nonnes vivent encore sur place mais le couvent se visite au gré de ses ruelles, cloîtres et fontaines. De chaudes couleurs rouge et bleu sont un enchantement pour la vue.

Les français au Pérou
Surprise de taille, l'invasion de voyageurs français au Pérou. Habitués à croiser des groupes souvent allemands nous sommes enchantés de ces contacts avec des compatriotes : le plaisir de parler sa langue, d'échanger sur la route, les sites, les bonnes adresses, voire de prendre un repas ensemble ou de se retrouver quelques jours plus tard ! C'est une façon de se sentir un peu entre amis ! Valérie et Sophie, Ingrid et Nicolas, Anné Hélène et Sylvain, Sabine et Nicolas, Albanne et Camille, Chistine et John, Françoise et François... le vif plaisir de la rencontre ! et aussi la surprise de retrouver d'autres voyageurs en camping car : Carla et Heiko, Claude et Erika !

Routes, chemins, pistes...
En voiture! On part! Par quelles routes? Vous dites routes!? Peut-on parler plutôt de pistes, presque de sentiers!?! En fait, il n'y a qu'une route pour l'Amérique du Sud et elle porte pour nom Pan American Highway (PanAm), encore que certains tronçons, surtout en montagne, ressemblent plus à du "patchwork goudronné". Donc, en premier, la PanAm asphaltée ou autopista (autoroute) près des grands centres. Puis en second, la carretera pavimentada ou route secondaire pavée. Attention avec ces routes secondaires: l'alphaste date souvent de 10 ou 15 ans et l'épaisseur n'est pas plus de trois centimètres. Donc, après 2 ans, fissures et petits trous apparaissent; après 5 ans, trous géants style baignoires d'éléphants; après 7 ou 8 ans, quelques petits morceaux de goudron apparaissent encore ici et là; enfin après 10 ans, cette belle route jadis asphaltée est devenue le 3ième genre de route, soit une carretera afirmada (route en gravelle toute température). En ce qui concerne une nivelleuse pour applanir la tôle ondulée ou planche à laver, on ne connait pas cela par ici. Donc, soubresauts continus. Le camino carrozable (chemin carrosable) vient en quatrième position,chemin généralement utilisé en dehors de la saison des pluies - difficile à sec, imaginez son apparence quand il pleut. Enfin, il y a les pistes et sentiers que l'on retrouve surtout en montagne, en dehors des sentiers battus, où l'utilisation du 4X4 est le plus souvent de rigueur et où la largeur de la route n'excède généralement pas la largeur du véhicule avec la montagne d'un côté comme appui et le précipice de l'autre qui n'attend qu'à vous avaler... Partout, sur toutes les routes, en plus des trous et des baignoires, il faut continuellement surveiller les retardateurs de vitesse (speed bump, tope, rumpe muelle ou giva) souvent non annoncés, les centaines de personnes et d'enfants qui marchent sur le bord, les motos, les vélos, les vaches, cochons, chèvres, ânes, mûles, chiens par centaines, poules, lamas, alpagas, pétrolettes (style triporteur), les bus et taxis conduits par des dérangés mentaux, sans oublier les flics qui nous arrêtent occasionnellement pour tailler bavette (ça veut dire "jaser" en bon québécois); il y a aussi les puisards sans couvercles et les pierres laissée sur la route par les bus et camions qui utilisent les pierres comme cale-freins lors des réparations sur la route mais qui oublient de replacer ces roches sur le côté quand ils reprartent. Oui, il y a un gros effort pour améliorer le système routier, mais les fonds manquent - on fait des bouts de routes neuves mais on ne les entretient pas par la suite - donc détérioration rapide. Voilà un apperçu bien sommaire de ce qui vous attend si vous désirez conduire au sud des Etats - Unis... Bonne route.

Emerveillement OU...
Tu connais E.T, n'est-ce pas, ce merveilleux petit martien héro d'un film, perdu un jour sur notre bonne planète! Maintenant, imaginez que vous conduisez votre véhicule sur une petite route et que soudain, un soucoupe volante, qui vous suivait à votre insu, vous passe par dessus et vous précède maintenant et qui plus est, E.T apparaît à la fenêtre du véhicule spatial et vous salue... Quelle serait votre réaction? Emerveillement, crainte, surprise, perplexité, scepticisme, effroi, incrédulité, ébahissement, stupéfaction, exitation... Hé bien! c'est ce qui nous arrive quand P-Gaz se pointe le nez dans un petit bled perdu, surtout en montagne ou dans les petits villages hors des sentiers battus, ce qui nous arrive plus souvent qu'autrement. Certains nous saluent, d'autres pas, certains reculent ou se cachent, quelques-uns nous crient après; chose certaine, tous nous suivent des yeux avec beaucoup de points d'interrogations. Tout cela à cause de P-Gaz qui ne passe pas inapperçu. Parfois on nous prend pour des missionnaires, une ambulance ou encore pour le minibus qu'on veut arrêter pour monter dedans... Autant de moments d'échanges amusants et sympathiques... Vive P-gaz...

Voyage et voyageurs
Le voyage est l'expérience de la solitude, de la modestie et de la dépendance ! Vivre loin de ses semblables, être regardé comme venant d'ailleurs parfois de la planète Mars ou Vénus selon les goûts, passer pour un touriste dès lors qu'on a quitté son département d'origine, ne pas saisir les subtilités de la langue parlée, avoir besoin d'aide pour des choses banales comme trouver son chemin, de l'eau, une poste, un endroit pour dormir... changer de place, souvent. Se perdre dans les étals pour trouver un aliment de base qui ne s'appelle pas de même ailleurs ou qui est différent sous la même appellation ! Le voyage c'est la rencontre. rencontre fugitive d'un échange sur la route, rencontre plus profonde d'un temps passé ensemble, rencontre attendue d'un contact donné par un ami ou une connaissance...
Et la rencontre particulière d'un autre voyageur : on se sent alors en terrain connu ! d'où viens tu ? comment va la vie ? as tu besoin de quelque chose ? quel plaisir de parler dans sa langue, d'échanger sur les réalités de la route..." la rencontre d'autres voyageurs, nous disait Joachim de Hambourg voyageant avec Ute vers le nord, c'est comme retrouver de vieux amis", l'intensité du contact est toute suite là. Moment rare, dense, où l'on perçoit l'autre spontannément, sans fards ni conventions. Je me souviens de la plupart de ces rencontres et le plaisir est vif de recevoir des nouvelles... parfois par d'autres voyageurs !
Luxe : se revoir ! C'est ainsi que nous aurons revu Katarina et Oliver 3 fois depuis l'Alaska, avec Dom et Diana canadiens rencontrés au Guatémala nous aurons partagé un container commun vers la Colombie, Paul et Brigitta nous nourrissent au moment où j'écris ces lignes... ils dégivraient leur frigo à Cartagena et nous avons hérité du bacon congelé ! Marc et Erlindé de Belgique voyagent sac au dos vers le nord avec notre Lonely Planet d'Amérique centrale et nous profitons de leurs contacts en Colombie. Plus anciennes sont les rencontres de quelques suisses, Markus, Armin et Marisol, d'Erik et Martina des hollandais, Yon et Leone des sud africains sur la route depuis 9 ans, Aldo et Cristina italiens en route depuis 6 ans, Mario et Martina, des allemands, Christelle et Jeremy de jeunes français en vélo pour deux ans autour du monde rencontrés au Costa Rica... en fait ce sont des européens pour la plus part, sauf Hector le québecois rencontré hier juste avant de quitter la Colombie... Internet facilite bien les choses et nous gardons ainsi le contact avec certains d'entre eux. Si la rencontre est intense et riche en émotions, sans doute est il difficile de voyager ensemble, tellement le rythme de chacun, les centres d'intérêts, les habitudes de route sont personnelles. Nous n'avons pas encore expérimenté cela.



Un début d'apprentissage en molas ! juin 2007
Mélanie me fixe un premier rendez vous le lundi matin à 11h, je prépare ma petite trousse à couture et prends le paquet cadeau de tissus colorés. Mais à 11heures elle me dit que ce n'est pas possible de rester sur le marché et que je dois revenir à 5 heures, elle m'enmènera chez elle et on aura "toute la nuit" pour répondre à mes questions. OK ! Je sens sa prudence vis à vis des autres. Bon, c'est ainsi ! Au final après avoir récupéré son fils, sa soeur et le nourrisson de la soeur, mis une bache sur son mini stand, nous voilà parties le long de la route vers son gîte. "Pas de chaises", me dit elle en entrant, elle loue deux petites pièces sombres avec un WC, une douche mais pas de possibilité de faire de la cuisine. On se dit qu'on est à l'abri du vent et de la pluie ! Il y trois lits en guise de mobilier. On tire un matelas dans la petite entrée et nous voilà à pied d'oeuvre. Mélanie inspecte ma trousse de couture et rigole on a le même dé et cela fait clic clic de son doigt au mien. Son fils sort son cahier d'école, sa soeur est déjà à l'ouvrage sur une série de petites pièces commandées en 20 exemplaires pour la fin de semaine. Quel doigté : chaque point est précis, serré, les formes s'arrondissent régulièrement, la pièce prend forme. L'éclairage est franchement lugubre avec cette ampoule qui descend du plafond. J'avais apporté une lampe de poche frontale, j'éclaire sa soeur qui avale les points plus vite qu'une machine à coudre !!! Je me rends compte peu à peu des difficultés : prendre les différents niveaux de tissus, retourner délicatement avec l'aiguille la partie qui va être cousue, ne couper le tissus que par petites portions, commencer par l'extérieur et coudre "en montant", toujours avoir la partie neuve au dessus. Le pouce et le jeu d'aiguille suffisent à mettre en forme le tissus travaillé. Sommes loin de l'équipement des ateliers patchwork nord américain avec les tables, planches adhésives, fer à repasser, colles éphémères, lampes orientables... Mélanie me dessine un motif géométrique et allons y ! rires et commentaires amusés ! je cherche ma voie et peine dans les angles droits ! tout cela entre deux tétées et la répetition des leçons pour demain. La soirée avance, la soeur est toujours aussi active, Mélanie est fatiguée, le bébé dors par terre sur la couverture, le fils est allé se blottir sur le grand lit et Mélanie me fait signe : "regarde, il dort à côté du paquet de bonbons que tu as apporté !" silhouette d'enfant endormi avec ses bonbons ! la soirée continue et Mélanie me demande des phrases simples en anglais pour entrer en contact avec les touristes... trouver les expressions justes et faciles à prononcer pour elle. Encore des rires sur les expressions, les intonations, la soeur continue toujours son ouvrage sans participer à cette séance linguistique scrupuleusement transcrite sur un grand cahier. Un frôlement sur le pied, je découvre le premier passage de cafards, ils sont gros comme le pouce et pas gênés ! Quelques coups de sandales arriveront à en scratcher deux ou trois mais la relève est immédiate. On continue encore quelques échanges couturo-linguistiques puis la fatigue est plus forte. Dodo ! J'apprécie mon drap de couchage et me fais un petit oreiller de mes habits enroulés. Au plafond sèchent les petites chemises blanches de l'uniforme d'écolier. Quelques vêtements et objets personnels dans un coin et c'est tout. Mélanie vient s'enrouler dans un drap sur le grand lit à côté de son fils. Sa soeur dort à côté avec le bébé. Pas de pluie, la tôle est restée silencieuse cette nuit là. Je n'ai pas pris de photos. Les images restent inscrites en moi. Je retrouverai Mélanie plus tard sur le marché avant de reprendre la route avec Jacques.


Les "molas", Panama mai 07
Il y a trente cinq ans à Paris, je recevais d'une amie colombienne deux "molas" et j'avais été fascinée par cette technique de couture si haute en relief et en couleur. Les molas font partie du vêtement traditionnel des femmes Kuna de l'archipel des îles San Blas sur la côte nord du Panama. C'est une région qui a conservé non sans mal son art de vivre : langue, habitat, vêtements et surtout façon d' administrer son territoire. Certaines de ces îles ne sont pas habitées mais appartiennent à la communauté et il ne sera pas question d'en vendre tout ou une partie. On reconnait facilement une femme kuna : un foulard rouge sur la tête, un anneau serti à la base du nez, une blouse comportant ses deux molas, l'un devant et l'autre derrière avec des motifs similaires mais pas nécéssairement identiques, un paréo autour de la taille au motif du village d'origine avec de fins bracelets de perles en abondance. Ces bracelets sont portés aux poignets mais aussi sur les jambes remontant de la cheville au dessous du genoux. Un vêtement haut en couleur. Le mola est donc un rectangle en tissus de couleurs vives, de la taille d'un set de table offrant un motif symbolique sans complexe : certains molas sont médicinaux, animaliers, politiques, religieux, géométriques. L'imagination des femmes kunas qui les fabriquent est débordante. L'humour se glisse dans les motifs pour qui sait les regarder. Les molas sont fabriqués par paire car cette pièce fait partie de la "blouse" (traduction de mola) avec un mola sur le devant et un autre sur l'arrière de la blouse. J'avais eu l'occasion de trouver en France quelques livres sur le sujet et j'avais gardé l'envie d'en apprendre plus, "quand j'aurais le temps". Le temps est venu et me voici au Panama à la recherche d'une femme qui voudrait bien m'apprendre un peu de sa technique. J'avais amené de France un gros sac de tissus de différentes couleurs à donner en échange de cet apprentissage. Le marché d'El Valle, un dimanche matin : choc de voir des molas par dizaines sur tous les étals. Je regarde tout : les motifs, combien de tissus sont superposés, la finesse du point, la mise en forme du motif, la variété des coloris, est ce un vieux ou un neuf... Je parle avec les femmes et cherche une "bonne volonté" qui accepterait ma présence. Plusieurs d'entre elles cousent sur place, je regarde et questionne. Pas vraiment d'enthousiasme pour répondre à ma demande comme si cela ne se faisait pas de divulguer le savoir faire. Bon, je comprends. Je continue ma tournée et reviens finalement Mélanie accepte. à suivre...

Dos à dos/nez à nez, Granada mai 07
Granada, nous sommes au Nicaragua, les cousins à qui nous avions envoyé un petit mail voici quelques temps n'ont pas répondu. Peut être n'ont ils pas reçu notre message ou bien ils sont au plus fort de leurs travaux d'installation car ils ont quitté Genève pour Granada voici 4 mois. Nous décidons de venir consulter nos mails une dernière fois ce matin avant de quitter la ville. Nous allons dans un cyber café sur la place principale mais il y a des tonnes d'autres possibilités. On s'installe avec notre micro sur une petite table à gauche de l'entrée, sur la droite il y a une batterie de postes informatiques tous occupés. Le Wi Fi marche bien, le café est super bon, c'est jour de coupure d'eau et il y a un cadenas sur la porte des toilettes... pas de nouvelles des cousins, tanpis, on effectue l'actualisation du site, tout passe correctement, on vérifie en consultant à nouveau et soudain : "c'est vous Elisabeth et Jacques ?"surprise totale... Laurent, le cousin est là en chair et en os avec Tania au pull orange qui occupait une des places sur la droite... on avait bien vu le pull mais pas la personne qui était en train de consulter notre site... merci les photos et heureusement que Laurent s'est retourné vers la gauche !!! vous imaginez la suite joyeuse de cette découverte originale in extremis ! Une bonne pizza, une baignade dans un lac volcanique bien tempéré, la visite de la maison de Tania et Laurent toute en couleur un diner bien arrosé et on a repris la route le lendemain tout joyeux de cette rencontre haute en couleur : meilleurs voeux d'installation à Laurent et Tania. Ils développent une activité de "voiturage" pour les visiteurs qui ne veulent pas attendre les bus et veulent faire leur itinéraire sur mesure avec un petit bus qui les conduira où souhaité. Une formule qui devrait plaire aux voyageurs européens venus en petit groupe.